Qu’est-ce que la gouvernance d’entreprise ?

Publié le 6 janvier 2023

Le concept de gouvernance

La gouvernance d’entreprise, encore appelée gouvernement d’entreprise, désigne un ensemble de décisions, de règles et de pratiques visant à assurer le fonctionnement optimal d’une organisation, ainsi que les organes structurels chargés de formuler ces décisions, règles et pratiques, de les mettre en œuvre et d’en assurer le contrôle[1].

Le terme de gouvernance d’entreprise trouve son origine dans l’expression anglaise « corporate governance » et vise le cas des sociétés anonymes cotées en bourse.

Originaire des pays anglo-saxons, ce concept a fait son apparition en Europe dans les années 70, faisant suite à un certain nombre de scandales financiers britanniques et nord-américains comme la faillite de BCCI bank ou Enron.

Une bonne gouvernance d’entreprise comprend les procédures et instruments permettant un équilibre optimal entre l’esprit d’entreprise et la recherche de la performance, d’une part, et le contrôle et la prévention des risques, d’autre part[2].

De façon plus étroite, le terme de gouvernance d’entreprise est utilisé pour désigner l’articulation entre les actionnaires et la direction, et principalement le fonctionnement du conseil d’administration de la société [3].

  • Les actionnaires fournissent le capital, définissent la vision de l’entreprise et subissent le risque de l’activité. Ils nomment le conseil d’administration et contrôlent sa gestion.
  • Le conseil d’administration établit l’orientation stratégique de l’entreprise, supervise la performance de la direction, assure la surveillance des risques et le contrôle des informations comptables et financières. Il rend compte aux actionnaires.
    Des comités spécialisés sont parfois créés au sein du Conseil d’Administration comme le comité traitant de la rémunération et de la nomination des dirigeants ou le comité d’audit.
  • La direction, nommée par le conseil d’administration, est en charge de la gestion quotidienne de la société en accord avec la stratégie définie. Elle rend compte de sa performance au conseil d’administration.

Deux modèles de gouvernance existent en Europe :

  • le modèle moniste au sein duquel le conseil d’administration exerce un double rôle : celui de l’approbation de la stratégie et de certaines décisions d’une part et la supervision des risques, le contrôle de la gestion et l’approbation des informations financières d’autre part.
  • le modèle dual comme c’est le cas en Allemagne ou aux Pays-Bas : une structure à double conseil : un conseil de surveillance et un directoire au sein duquel les membres du conseil de surveillance contrôlent les décisions du Directoire.

Le concept de gouvernance a évolué pour englober les intérêts des parties prenantes et donner naissance à la notion d’entreprise citoyenne.  L’entreprise du 21e siècle est amenée à assumer la responsabilité de l’impact de ses décisions et activités sur ses parties prenantes – et à intégrer autant que faire se peut – les attentes de ces derniers dans sa stratégie et ses processus de décision. C’est en quelque sorte un 3e type de modèle de gouvernance « pluraliste » aux côté des deux modèles évoqués plus haut (moniste et dual).

De nombreuses recherches ont démontré que les entreprises disposant d’une gouvernance forte,  soutenue par des mécanismes de supervision et de gestion efficaces et adaptée aux changements économiques et environnementaux, affichent des résultats financiers à long terme nettement meilleurs et connaissent une croissance plus rapide et plus durable.

Une  gouvernance de qualité n’est donc pas un objectif en soi mais un moyen de réaliser la stratégie d’entreprise et de créer de la valeur sur du long terme.

La gouvernance sur le plan (inter)national

Un cadre de gouvernance crédible est perçu par les instances supranationales comme un des facteurs clés d’amélioration de l’efficience et de la croissance économique.

Déjà en 1999, les « Principes de gouvernement d’entreprise de l’OCDE » approuvés par les pays membres élaborent des recommandations et normes de bonnes pratiques de gouvernance mais non contraignantes.

En Europe, les dirigeants du G20 ont approuvé en 2015 les principes de gouvernement d’entreprise du G20 et de l’OCDE (« G20/OECD Principles of Corporate Governance »).  Ces principes s’adressent principalement aux décideurs et aux régulateurs, en les aidant à façonner un cadre juridique et réglementaire qui soutient l’investissement, la dynamique du secteur des entreprises et la stabilité financière.  Les principes se concentrent sur les sociétés cotées en bourse, qu’elles soient financières ou non.

Au Luxembourg, de nombreux principes de corporate governance sont comprises dans les dispositions de la loi sur les sociétés commerciales.  Sous l’impulsion des initiatives européennes, un droit des sociétés spécial, propre aux sociétés cotées, a progressivement été édicté au Luxembourg.

En matière de gouvernance, les principales sont :
La loi « transparence » du 11 janvier 2008 a constitué un cadre important concernant la communication d’informations règlementées par les émetteurs de valeurs mobilières admises à la négociation sur un marché règlementé.  Au titre de ces informations figurent également les informations privilégiées telles que les opérations d’initiés et les manipulations de marché.
La loi du 24 mai 2011 concernant les droits des actionnaires et le principe d’égalité de ces derniers est une autre illustration de la prise en considération du corporate governance au sein de la législation nationale[4].

La loi du 10 décembre 2010 introduit les normes comptables internationales.

Les régulateurs tels que la Commission de Surveillance du Secteur Financier ou le Commissariat Aux Assurances ont publié un arsenal de lois, de règlements et principes de gouvernance à destination des sociétés d’assurance et de réassurance, Sicav, fonds d’investissements, professionnels du secteur financier et établissements de crédit soumises à leur contrôle.

La Bourse de Luxembourg a émis en 2007 les x principes de gouvernance d’entreprise de la Bourse de Luxembourg s’adressant aux sociétés cotées sur la place (à l’exception des SICAV et OPCs). Sa lecture nous informe que :

(…) « Une bonne gouvernance d’entreprise se propose

– d’atteindre des objectifs d’équilibre adéquats entre d’une part l’esprit d’entreprise et le contrôle, et d’autre part entre la performance et la conformité aux règles de gouvernance d’entreprise;

– de faciliter une gestion axée sur la performance mais aussi fournir des mécanismes de gestion et de direction tout en assurant l’intégrité et la transparence du processus de prise de décisions ;

– de fixer les objectifs de la société, les moyens de les atteindre et la façon d’évaluer les performances. En ce sens, la gouvernance d’entreprise a essentiellement une valeur incitative de nature à contribuer à la capacité du conseil d’administration et de la direction à poursuivre des objectifs conformes aux intérêts de la société, de ses actionnaires ainsi que des autres parties prenantes ( «stakeholders » ), telles que les clients ou le personnel de la société » (…).

A l’heure actuelle, aucun dispositif de gouvernance spécifique n’existe pour les sociétés non cotées au Luxembourg.

Quels sont les principes d’une bonne gouvernance ?

  1. L’existence d’un conseil d’administration responsable de la stratégie et de la gestion de l’entreprise ainsi que de sa surveillance. Au sein du conseil, les administrateurs sont compétents, disponibles et justifient d’une honorabilité professionnelle. Un nombre suffisant d’administrateurs indépendants, sans lien d’affaires ou familiaux avec les dirigeants et aux compétences diversifiées sont sélectionnés afin de permettre des débats d’idées, d’apporter des perspectives différentes et de sauvegarder les différents intérêts en présence.
  2. Le rôle et les responsabilités du président du conseil, des membres du conseil et de la direction, les processus de décision et les règles de communication entre ces organes sont formalisés afin de garantir une répartition des pouvoirs et gérer au mieux les éventuels conflits d’intérêts[5].
  3. Les politiques et les processus clés sont documentés. Les entreprises établissent des codes d’éthique et de bonne conduite afin d’orienter les salariés et de maintenir de bonnes pratiques éthiques.
  4. Les risques auxquels l’entreprise est confrontée sont identifiés, gérés et contrôlés. Les contrôles internes aident les entreprises à promouvoir la responsabilisation, sécuriser les actifs et renforcer leur résistance à la mauvaise gestion.
  5. La politique de rémunération des dirigeants est approuvée par l’assemblée générale des actionnaires et vise à garantir un équilibre entre performance et gestion des risques
  6. La désignation précise des rôles et des responsabilités entre les acteurs de la gouvernance et les directions opérationnelles est formalisée au sein d’un organigramme, en distinguant les liens hiérarchiques et fonctionnels.
  7. Les plans de succession sont en place afin d’assurer la continuité des affaires et la stabilité des effectifs.
  8. La Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE) est intégrée dans la stratégie globale de l’entreprise et les principes gouvernant la prise de décisions. Ce sujet est systématiquement porté à l’agenda du conseil d’administration et débattu en comité de direction.
  9. Le conseil (auto-)évalue la performance et l’adéquation des mécanismes de gouvernance à intervalle régulier en vue de les adapter aux besoins et enjeux de l’entreprise.

 Les piliers d’une gouvernance de qualité sont les suivants :

  1. La transparence et la qualité des informations
  2. La responsabilité des organes
  3. L’obligation pour ces organes de rendre compte de leurs actes
  4. Les devoirs de diligence et de loyauté des dirigeants
  5. L’indépendance et l’intégrité des administrateurs

La gouvernance dans les PME [6]

On attribue généralement à la gouvernance des retombées positives en matière de performance, d’innovation, d’internationalisation, de croissance et de compétitivité.

Ces bénéfices sont-ils à la portée des PME?

Les caractéristiques des PME sont spécifiques, leurs besoins et leurs défis sont différents de ceux d’une société cotée ou régulée.

Bien que les principes soient similaires, ces caractéristiques justifieraient une approche différente de la gouvernance telle qu’elle est généralement connue et appliquée au sein des grandes structures.

Les événements dans la vie de l’entreprise tels un changement au sein de la direction ou du conseil d’administration peuvent constituer des opportunités intéressantes pour réviser son modèle de gouvernance.  Mais le plus souvent ce sont les pressions qui font naître le besoin de repenser la gouvernance. Par exemple, lorsque les organes dirigeants vivent une situation de conflits et blocages ou encore à la demande des actionnaires.

La taille, la structure de l’actionnariat, le secteur d’activité mais aussi la maturité de l’entreprise dans son cycle de vie sont essentiels pour appréhender les risques à chaque étape et les besoins en gouvernance.

La finalité pour le dirigeant sera d’identifier ses défis avec clarté et de sélectionner les outils de gouvernance appropriés pour permettre le développement de son entreprise.

Passons en revue quelques particularités des PME et voyons quelles solutions pourraient s’appliquer en matière de bonne gouvernance. Nous excluons volontairement les PME régulées dont les règles sont précisées par le régulateur moyennant l’application d’un principe de proportionnalité à justifier.

Spécificité 1 – La croissance rapide et la complexification de la structure organisationnelle

 Dans une petite entreprise (5-10 personnes) ou dans une startup, le propriétaire est aussi dirigeant et/ou gestionnaire. Il est intégré dans la prise de décision quotidienne, en contrôle la gestion et les résultats. L’organisation est simple, la communication est informelle, le personnel porte plusieurs casquettes et reste proche du décideur.  A ce stade, les besoins en gouvernance se limitent à la mise en place d’un système de gestion de la trésorerie et au recours à des conseils externes ponctuels.

Au fur et à mesure que la PME franchit les étapes de sa croissance, la structure organisationnelle grandit et se complexifie. Les effectifs sont plus nombreux. Le rôle du propriétaire est appelé à évoluer car la prise de décision opérationnelle est peu à peu décentralisée et confiée à des gestionnaires. De l’entrepreneur-expert immergé dans l’action quotidienne, il doit évoluer vers une posture de leader, fixant le cadre et s’assurant que les activités déléguées sont exécutées et les résultats atteints.

Les problématiques suivantes peuvent alors voir le jour.

  • Le manque de transversalité de la communication à travers les silos peut nuire à l’autonomie et l’initiative des équipes. Les décisions peuvent manquer de clarté et d’objectivité pour le personnel et créer des frustrations de part et d’autre de la chaîne de commandement.
  • Le dirigeant-fondateur peut être tenté de conserver le pouvoir et ne pas laisser l’autonomie nécessaire à ses managers pour grandir et rester engagés. N’étant pas toujours formé à la délégation ni à la gestion d’équipes, les erreurs de management sont fréquentes, le climat interne peut se détériorer et donner lieu aux premières démissions.
  • La trop forte dépendance à un personnel clé et le manque de plans de succession pour pallier au départ du personnel clé peut engendrer des pertes de marché et des dysfonctionnements importants pour une petite structure.
  • Dans la guerre des talents, la PME est en compétition aux côtés de grands acteurs alors qu’elle ne dispose pas des mêmes ressources pour gérer efficacement ses processus de sélection. Les PME consacrent peu de temps au développement, à la formalisation et à la communication de leur stratégie ; ce qui peut entraîner un manque d’attractivité sur le marché et rendre difficile l’embauche du personnel compétent nécessaire à sa croissance.
  • Un autre risque survient : la possible inadéquation entre les compétences et savoir-faire du personnel embauché à l’origine dans un certain contexte par rapport aux attentes nouvelles du marché et des nouveaux modes de fonctionnement de l’entreprise.

Solutions

La société doit rapidement changer les processus décisionnels et répondre au besoin de transversalité de l’information.

Le « coach » est un professionnel qui tient « un miroir », afin que le dirigeant (le coaché) puisse se voir sous de nouveaux angles et acquérir une nouvelle vision de lui-même. Le coach aide à débloquer les connaissances et les compétences que le coaché possède déjà mais dont il n’est pas toujours conscient et l’aider à progresser dans son développement au bénéfice de son entreprise.

La mise en place d’un comité de direction rassemblant les managers, peut apporter une meilleure communication transversale, implication et favoriser la prise de décisions collégiales.

Afin de piloter, de mobiliser l’ensemble des hommes et des femmes et de mesurer leur contribution à l’objectif général, il devient essentiel de décrire :

  • L’exercice du pouvoir de décision instituant des rôles et responsabilités, leurs limites et des lignes hiérarchiques claires
  • Les objectifs stratégiques traduits en objectifs opérationnels pouvant mener à l’évaluation des équipes et au pilotage de quelques indicateurs clés
  • Les politiques clés (approvisionnement, finance, gestion de la relève, …) et les processus qui mettent en action ces politiques
  • Les actions de formation du personnel pour permettre l’accroissement des compétences aux exigences du marché et diminuer le recours au recrutement externe, en ce compris un plan de mentoring interne pour permettre la transmission des savoirs
  • La planification de la relève et les plans de succession pour s’assurer que le personnel s’adapte à la complexité croissante des affaires et que des solutions existent en cas de départ d’un poste clé

Ces défis font émerger le besoin de mettre en place une fonction de gestion des ressources humaines compétente dépassant le simple cadre de la gestion administrative du personnel.

Spécificité 2 – La solitude du dirigeant

Le patron est confronté à un rythme quotidien qui laisse peu de temps à la prise du recul nécessaire à une pensée stratégique ou à l’analyse d’opportunités de croissance. Un déséquilibre peut ainsi se créer entre la nécessité d’amorcer une réflexion stratégique à long terme et la gestion quotidienne de l’organisation.

Le recours ponctuel à des consultants externes est utile mais ne permet pas toujours une prise en compte des enjeux à long terme de l’entreprise.

Solutions

Un regard extérieur initié est précieux pour valider son modèle d’affaires et l’aider à développer sa vision.  Il existe plusieurs solutions pour apporter un éclairage et la remise en question de manière constructive des actions ou des stratégies de l’entreprise.

Le mentor est un interlocuteur neutre et expérimenté qui a plus d’expérience que son mentoré et est disposé à partager son savoir, les leçons de ses expériences et sa perspicacité avec le dirigeant. Il le soutient dans les exigences de croissance de son entreprise et dans l’élaboration ou l’exécution de plans d’action et l’encourage à voir la situation sous de nouveaux angles, à prendre du recul. Le mentor peut, en particulier pendant les périodes de changement, se révéler être un encadrement sécurisé pour explorer et gérer les nouvelles exigences de changement.

L’Advisory Board (conseil consultatif) peut constituer un premier pas dans l’amélioration de la gouvernance. Il s’agit pour un entrepreneur de s’entourer d’un groupe informel et bienveillant d’hommes et de femmes indépendants, choisis pour leurs capacités individuelles et collectives à le challenger efficacement sur les problématiques de son entreprise, à le conseiller et l’éclairer dans des situations difficiles et à l’aider à prendre de la hauteur.
Ne disposant d’aucun lien hiérarchique ni de responsabilité juridique, cette notion est encore assez récente et fait l’objet de mises en garde par certains professionnels. Des conseils erronés peuvent entraîner des décisions contraires aux intérêts de la société sans que soit mise en cause la responsabilité des membres de ces structures informelles.
L’existence d’un Advisory Board peut précéder ou co-exister avec un conseil d’administration.

La formation d’un conseil d’administration indépendant, aux compétences pointues et diversifiées, peut apporter les bénéfices suivants :

  • La protection de ses intérêts par les mécanismes de supervision de la gestion (ce qui peut vouloir dire que le dirigeant peut se sentir remis en question)
  • L’accès à un soutien permanent et une expertise accrue pour aborder le marché avec plus de confiance et de capacités d’innovation
  • L’ouverture à d’autres points de vue et la remise en question de manière constructive de la stratégie et des moyens d’action de l’entreprise
  • Un développement de la culture du risque au sein de l’organisation
  • Une aide pour planifier la relève et, au besoin, convaincre les différentes parties prenantes (famille y compris) de la nécessité de planifier la succession
  • Une confiance renforcée des investisseurs et des organismes de crédit permettant l’accès à des financements externes moins coûteux
  • Une confiance accrue des parties prenantes et une meilleure attractivité de l’entreprise

Afin que le conseil soit véritablement un allié et un conseiller stratégique, il est indispensable que le dirigeant joue un rôle actif dans la constitution de son conseil d’administration et donne le ton de sa relation avec ce dernier.  N’ayant pas un rôle à temps plein, les membres du conseil d’administration ne se sentent pas toujours suffisamment informés ou plus qualifiés que le dirigeant lui-même pour se prononcer sur la stratégie. C’est pourquoi établir un dialogue ouvert et transparent et s’assurer de comprendre les attentes des membres du conseil, y compris en dehors des réunions du conseil, permet d’instaurer la confiance, le respect et le soutien. La communication devient plus réciproque et moins centrée sur la dynamique des pouvoirs.

La constitution d’un conseil génère des coûts dont il convient d’en analyser l’ampleur en comparaison de sa valeur ajoutée dans la poursuite des objectifs recherchés par la PME.

Spécificité 3 – La gestion des risques est informelle

La culture du risque est bien présente dans l’esprit de l’entrepreneur car il sait qu’il peut perdre les revenus de son capital, voire tout ou partie de celui-ci.  Sa connaissance des risques de l’entreprise reste cependant limitée aux risques financiers et aux risques externes, tels que la concurrence et la réglementation.  Les risques opérationnels et stratégiques ne sont pas toujours identifiés et l’implémentation de contrôles internes[7] se limite aux contrôles les plus couramment utilisés et sont modifiés au fur et à mesure que des risques se présentent.

Le manque d’identification et de gestion des risques revient à naviguer dans le brouillard, sans sonar par une forte tempête et conduit assurément à la rencontre d’obstacles ou d’accidents pouvant nuire fortement à la rentabilité et la pérennité de l’entreprise.

Solutions

En présence d’un environnement rendu plus complexe, fortement règlementé, ou en présence d’investisseurs étrangers, il devient important d’identifier et formaliser les risques majeurs auxquels est confrontée l’entreprise.  Sur la base d’une proposition de la direction, le conseil approuve le niveau de risque que la société accepte de prendre pour atteindre ses objectifs stratégiques.
Une fonction « gestion des risques » a pour mission de chiffrer leur probabilité et leur impact et d’encourager la mise en place de mesures correctrices ou de contrôles internes et ce, dans le cadre de la tolérance au risque approuvée par le Conseil d’administration.
Une fonction d’audit interne (pouvant être confiée à une entreprise externe sous certaines conditions) aura pour mission de fournir à la direction (et plus tard au conseil d’administration) l’assurance raisonnable que les contrôles internes sont adéquats et efficients.

Spécificité 4 – Le besoin en financement pour assurer la croissance

L’accès au financement est une contrainte majeure à la croissance des PME. Les PME sont moins susceptibles que les grandes entreprises d’obtenir des prêts bancaires et comptent sur des fonds « familiaux » pour se lancer et fonctionner.
Les investisseurs externes sont peu enclins à investir du fait de l’absence de structures de responsabilisation et de politiques, la PME peut être confrontée à un déficit de financement qui peut ralentir sa croissance ou plus sévèrement, amorcer son déclin.

La sortie d’un des investisseurs initiaux pour des raisons de désaccord sur la vision ou la stratégie peut survenir et en l’absence d’un règlement convenu d’avance, les pertes financières et les tensions externes ou internes peuvent être lourdes de conséquences pour la structure.

Solutions

Les investisseurs imposent rigueur et formalisme. Les institutions bancaires ont besoin de garantie et l’évaluation de leurs risques passent par l’analyse de la structure de gouvernance de l’entreprise.  L’arrivée de fonds de venture capital requiert inévitablement l’implémentation d’un conseil d’administration.

Le crowdfunding (financement participatif) est une forme de financement alternatif qui permet aux jeunes entrepreneurs et aux petites et moyennes entreprises (PME) de financer des projets spécifiques à faibles montants. [8]
Le crowdfunding permet de récolter des fonds auprès d’un large public (internautes) via des plateformes de financement participatif. Il peut prendre la forme de dons, de prêts rémunérés ou de participations dans l’entreprise.[9]
Il fait généralement intervenir 3 types d’acteurs :

  • le porteur de projet (personne physique ou personne morale), qui propose le projet à financer ;
  • les investisseurs, qui financent le projet ;
  • l’exploitant d’une plateforme qui met en relation les porteurs de projets et les investisseurs par le biais d’un système d’information fondé sur l’internet accessible au public.

Le financement par les business angels peut être un effet de levier qui permet d’obtenir d’autres financements (bancaires par exemple). Les business angels fournissent une solution privée pour les besoins de financement des startups et fournissent également une expertise et des connexions. En général, ils restent minoritaires au capital de l’entreprise (part du capital inférieure à 20 % en moyenne) mais participent parfois activement à la vie de l’entreprise et à la prise de décision. La principale différence entre les business angels et les investisseurs en capital-risque, ou sociétés de capital-risque, est le montant d’argent impliqué (en général inférieur à 100.000 euros dans le cas des business angels).

Les investisseurs en capital-investissement « venture capital » fournissent des capitaux à des entreprises à fort potentiel de croissance en échange d’une participation au capital. Il peut s’agir de financer des entreprises en démarrage ou de soutenir de petites entreprises qui souhaitent se développer mais n’ont pas accès aux marchés boursiers.

L’entrepreneur possède un éventail de solutions dont le choix sera fonction de ses objectifs de croissance, de ses propres valeurs et de sa volonté de conserver le contrôle de son entreprise.

Spécificité 5 – La question spécifique de la gestion des entreprises familiales

Les PME familiales s’inscrivent dans une vision patrimoniale à long terme et souhaitent transmettre une entreprise saine et à leurs enfants. Les risques les plus souvent rencontrés dans ce cadre sont la confusion entre les intérêts de la famille et ceux de l’entreprise.  Il en résulte une composante émotionnelle accrue qui a tendance à entraîner un manque de clarté ou de transparence dans la prise de décision, en particulier en matière financière.  Des tensions peuvent naître lorsqu’une appréhension excessive face à un endettement potentiel et le désir de préserver le patrimoine familial contribuent à retenir le dirigeant de prendre les risques nécessaires à la croissance, ou encore lorsque les différentes générations s’opposent sur la stratégie à mener.

Solutions

La rédaction d’une charte familiale permet de définir les relations internes et les structures de contrôle ainsi que de fixer les règles du jeu pour l’avenir dans une perspective intergénérationnelle.  La création d’un conseil de famille permet de développer des bases de gouvernance solides et professionnelles.  Se doter d’un regard extérieur (dans le cas de l’Advisory Board) et d’une protection, notamment par la constitution d’un conseil d’administration, permet un partage vertueux des pouvoirs et une assurance que les finances et les grandes décisions sont examinées et approuvées par un conseil d’administration indépendant et compétent.

A noter que dans les entreprises familiales qui ont institué un conseil d’administration ou un Advisory Board, il arrive souvent que les membres du conseil soient liés personnellement au dirigeant ; ce qui ne permet pas un débat approfondi sur les situations ou les remises en question de certaines décisions.  Ces entreprises familiales pourraient dès lors s’interroger sur la valeur ajoutée d’un conseil d’administration ou d’un Advisory Board indépendant de toute influence des dirigeants ou actionnaires.

L’institut luxembourgeois des administrateurs (ILA) a émis une publication en 2018 intitulée « L’entreprise familiale et la gouvernance d’entreprise ». 

Spécificité 6 – La transmission

 Un élément crucial d’une entreprise familiale ou de propriétaire-gérant est la transmission de la gérance de l’entreprise. La tâche de décider qui prendra la relève est psychologiquement et émotionnellement lourde pour ces dirigeants qui ne sont pas enclins à quitter le navire ou considèrent l’entreprise familiale comme leur bébé et aimeraient en conserver le contrôle ou le confier à un membre de la famille.

La passation nécessite donc une planification minutieuse pour sécuriser la pérennité de l’entreprise et la résilience en temps de crise et ainsi préserver le patrimoine accumulé.

Solutions

L’utilisation active des pratiques de gouvernance familiale telles qu’une charte familiale, un conseil de famille et des réunions familiales informelles sert de cadre de prise de décision sur les sujets liés à la succession et aide l’entreprise familiale à aborder la planification de la relève dans le respect des valeurs de la famille.

Ce cadre peut ensuite être communiqué au conseil d’administration, dont le devoir est de s’occuper de la planification de la relève. Le conseil d’administration peut alors participer à la planification de la succession et signaler tout problème concernant le processus de succession.

Le cas échéant, les chartes familiales peuvent prévoir que les membres de la famille doivent acquérir une expérience pertinente à l’extérieur de l’entreprise pendant x années avant d’intégrer le conseil d’administration ou la direction de la société.

 Si le repreneur est externe à la famille, les plans de succession de l’entreprise permettent d’évaluer le véritable potentiel de candidats internes aux postes de direction clés s’ils ont été identifiés tôt et encadrés afin de maximiser leur potentiel.

Des outils utiles pour aller plus loin

L’organisation ecoda a émis avec le Corporate Governance Guidance and Principles for Unlisted Companies in Europe – March 2021 [10] un certain nombre de principes pour tenir compte de la taille, de la complexité et du niveau de la maturité des entreprises et leurs objectifs concernant leurs propres développement.

ecoDa a également élaboré un questionnaire d’auto-évaluation que les entreprises peuvent utiliser pour évaluer dans quelle mesure ils appliquent déjà ces principes et déterminer s’il existe des domaines dans lesquels elles pourraient renforcer leur cadre de gouvernance.  Ce questionnaire est disponible en anglais sur le site de l’organisation.

Le manuel de gouvernance des PME de IFC rédigé en collaboration avec le gouvernement de Luxembourg aborde spécifiquement les défis et les opportunités qui se présentent aux PME aux différentes étapes de leur cycle de vie, en proposant des recommandations en matière de gouvernance d’entreprise adaptées à ces petites unités. Les conseils fournis visent à aider les propriétaires, les investisseurs et les responsables de PME à adopter une approche pragmatique de la gouvernance, comme moyen de renforcer leurs entreprises à long terme. [11]

Des outils peuvent constituer des alternatives structurantes comme le label B-Corp ou le GRI.

Le label B-Corp est un label international surtout porté par plus de 5.000 entreprises dans 77 pays (en majorité des PME).  La démarche B Corp s’appuie sur un questionnaire d’auto-évaluation en ligne gratuit et ouvert à toutes les entreprises, quels que soient leur taille ou leur secteur d’activités : le “Business Impact Assessment” ou “BIA”. Il permet de mesurer à la fois l’impact des opérations et celui du modèle d’affaires.[12]  L’entreprise dispose dans ce cas d’une « feuille de route » pour planifier les changements structurels à mettre en place vers une gestion plus durable. Les entreprises « matures » qui satisfont à une note précise peuvent demander la labellisation.

La « GRI » – Global Reporting Initiative[13] Lancée par une ONG américaine en 1997, son objectif est d’élaborer et de diffuser des lignes directrices pour aider les entreprises à produire des rapports sur les dimensions économiques, sociales et environnementales de leurs activités, produits et services[14]. La préparation d’un rapport en conformité avec les normes GRI permet d’obtenir un panorama complet des enjeux pertinents d’une organisation, des impacts qui y sont liés et des modalités de gestion de ces impacts. Une organisation peut également utiliser l’ensemble ou une partie des normes GRI sélectionnées pour établir un rapport sur des informations spécifiques. Aujourd’hui, les lignes directrices de la GRI sont largement utilisées par les entreprises et diverses organisations pour mesurer les actions concrètes mises en place en matière de développement durable et améliorer la transparence de leurs résultats extra-financiers.

Au Luxembourg[15], il existe différents labels et chartes qui permettent à l’entreprise de montrer leur engagement dans différents domaines de la RSE, tels que :

Le mot de la fin

La gouvernance n’est pas la panacée à tout et ne peut éviter la fraude, la mauvaise gestion ou les mauvaises décisions. Les exemples sont nombreux pour nous le rappeler.
Si elle ne peut à elle seule expliquer le succès, de nombreux exemples nous démontrent que négliger la gouvernance peut affecter la performance, la réputation et la pérennité d’une entreprise.  Pour survivre et se développer, toutes les entreprises doivent être bien gouvernées.

Les PME, dont un grand nombre sont des entreprises familiales, diffèrent des grandes organisations et bien qu’elles ne soient pas soumises à l’obligation d’adopter des pratiques strictes de bonne gouvernance, appliquer de saines pratiques à la hauteur de leurs objectifs peut leur éviter bien des pièges sur la route de leur développement et les préparer à aborder croissance et innovation (ACCA, 2015 ; ecoDa, 2010).

Comme évoqué dans cet article :

  • Les entreprises dotées d’une bonne gouvernance ont un meilleur accès au financement car elles paraissent plus attrayantes et moins risquées pour les investisseurs et les banques ;
  • Une gouvernance prudente réduit les risques et améliore la gestion des conflits entre les différents actionnaires et parties prenantes ;
  • Des organes de gestion bien structurés (et plus tard, des conseils d’administration) assurent une gérance, une orientation stratégique et des relations d’affaires essentielles à une croissance durable ;
  • Les entreprises familiales augmentent leurs chances de survie à long terme grâce à une planification proactive de la relève et à la gestion de la relation famille-entreprise ;
  • Des politiques, des structures et des processus efficaces aident à réduire la dépendance excessive à l’égard de quelques « personnes clés » ;
  • Les entreprises bien gérées attirent et retiennent un personnel de meilleure qualité sur lequel les fondateurs peuvent compter ;
  • Des contrôles internes prudents aident les entreprises à améliorer la gestion des risques et à renforcer leur résistance à la fraude, au vol et à la mauvaise gestion ;
  • Une bonne gouvernance est un préalable réglementaire à une introduction en bourse ;
  • Les bonnes pratiques de gouvernance aident les fondateurs à retrouver une certaine liberté dans leur vie. Ils peuvent contrôler et diriger l’entreprise sans avoir à participer directement à toutes les décisions opérationnelles.

Sous l’impulsion des scandales financiers et de la mobilisation de plus en plus importante des citoyens et des investisseurs, alimentés par la transparence offerte grâce à l’ère numérique, les débats autour de la responsabilité sociétale connaissent un développement majeur.

Si la RSE relève toujours à l’heure actuelle d’une démarche volontaire de l’entreprise, elle démontre la volonté de légitimer l’entreprise aux yeux d’un public de plus en plus concerné par les phénomènes sociaux et environnementaux.

La gouvernance, par définition évolutive et contextuelle, est un voyage.

Aucune entreprise n’étant identique à un autre, chacune devra « trouver sa propre voie » lorsqu’il s’agira de mettre en place un cadre de gouvernance en utilisant les solutions et les outils adaptés au stade de développement de leur entreprise.

Annick Lebrun-Nelissen

[1] Youmatter.world

[2] Les x principes de la Bourse de Luxembourg

[3] Les x principes de la Bourse de Luxembourg

[4] Le corporate governance au Grand-Duché de Luxembourg ; état des lieux et perspectives – anthémis – Marcier 1395

[5] Le conflit d’intérêts est une situation qui naît quand l’exercice indépendant, impartial et objectif des fonctions d’une personne est susceptible d’être influencé par un autre intérêt public ou privé distinct de celui qu’il doit défendre dans ces fonctions. https://transparency-france.org/wp-content/uploads/2018/06/GUIDE-CONFLITS-DINT%C3%89R%C3%8ATS-WEB.pdf

[6] PETITES ET MOYENNES ENTREPRISES (PME)

Entreprises dont :

  • l’effectif est inférieur à 250 personnes ;
  • et soit le chiffre d’affaires annuel n’excède pas 50 millions d’euros, soit le total du bilan annuel n’excède pas 43 millions d’euros.

[7] Les contrôles internes peuvent être définis comme des politiques et des pratiques permettant de détecter et prévenir les erreurs, d‘identifier les fraudes et d‘assurer la fiabilité des états financiers. Ces contrôles mettent des « verrous » préventifs et permettent des actions lorsque les « alarmes » retentissent.

[8] https://guichet.public.lu/fr/entreprises/financement-aides/financement/apercu-general/crowdfunding.html

[9] https://www.economie.gouv.fr/entreprises/crowdfunding-financement-participatif#

[10] https://ecoda.eu/corporate-governance-guidance-and-principles-for-unlisted-companies-in-europe/

[11] https://www.ifc.org/wps/wcm/connect/c3ec6ade-10c6-4aaf-b10f-637cec0402ed/IFC+SME+Guide+FRENCH+LOWRES.pdf?MOD=AJPERES&CVID=n7bB42W

[12] https://www.bcorporation.fr/certification/

[13] https://www.globalreporting.org/how-to-use-the-gri-standards/gri-standards-french-translations/

[14] https://www.novethic.fr/lexique/detail/gri.html

[15] https://guichet.public.lu/fr/entreprises/urbanisme-environnement/entreprise-responsable/responsabilite-sociale/entreprise-socialement-responsable.html